Il n’existe pas à Taiwan d’étude épidémiologique complète des effets de la pollution atmosphérique et de la pollution de l’air intérieur. Toutefois, des travaux scientifiques ont mis en évidence une relation entre les pics de pollution et les hospitalisations pour accident vasculaire cérébral et montré les conséquences néfastes sur le rythme cardiaque de l’exposition aux particules fines, ainsi que la corrélation entre le dégré d’exposition et le mode de transport utilisé pour se rendre au travail. Surtout, la publication, en octobre dernier par le ministère de la Protection de l’environnement, d’un nouvel indice d’exposition aux particules PM2,5 (particules dont le diamètre est inférieur à 2,5 microns et qui pénètrent profondément dans les poumons en raison de leur petite taille) a réveillé la vigilance de la population.
Il est clair désormais que les pics de pollution aux particules fines ne sont pas l’apanage des grandes métropoles chinoises. En automne et en hiver, en particulier, le centre-ouest et le sud-ouest de Taiwan, des régions densément urbanisées et fortement industrialisées, connaissent des épisodes de pollution fréquents. S’ils sont moins sévères que sur l’autre rive du détroit de Taiwan, ces pics font peser un risque sanitaire sur les personnes fragiles (enfants, personnes âgées) ou souffrant déjà de troubles pulmonaires ou cardio-vasculaires.
Une nette amélioration
Si l’inquiétude est plus forte dans la population, paradoxalement, sur le front de la qualité de l’air, l’année 2014 a été la meilleure à Taiwan depuis 1994, année où le ministère de la Protection de l’environnement a commencé à mesurer sur l’ensemble du territoire national la concentration de cinq polluants principaux. En vingt ans, le pourcentage des jours de l’année pendant lesquels la qualité de l’air est mauvaise a diminué de manière régulière, passant de 7% en 1994 à 0,9% en 2014, explique Chen Shyan-heng [陳咸亨], le directeur de la Protection de la qualité de l’air et du Contrôle des nuisances sonores au ministère de la Protection de l’environnement.
Les mesures par polluant effectuées depuis 2005 sur l’ensemble du territoire national confirment cette tendance. Sur cette période, la concentration moyenne annuelle des particules en suspension (PM10, particules dont le diamètre est inférieur à 10 microns) a diminué de 18%, celle du dioxyde d’azote (NO2) de 22% et celle du dioxyde de soufre (SO2) de 34%. Une amélioration d’ampleur similaire est constatée pour le monoxyde de carbone (CO) et l’ozone (O3). Aujourd’hui, les concentrations moyennes annuelles du NO2, du SO2 et du CO sont d’ailleurs inférieures à la valeur limite réglementaire, fixée sur la base des connaissances scientifiques afin d’éviter les effets nocifs sur la santé humaine. Quant aux particules fines (PM2,5), leur concentration annuelle moyenne a également légèrement fléchi au cours des dix dernières années.
Interrogé sur les facteurs ayant permis cette amélioration, le ministère de la Protection de l’environnement met en avant les mesures réglementaires prises ces dernières années : licences d’exploitation obligatoires pour les installations polluantes, contrôle des émissions de dioxine, récupération obligatoire des vapeurs d’essence dans les stations services, contrôle des chantiers de construction pour éviter la dispersion de particules dans l’air, normes renforcées pour les véhicules, etc. Les sites industriels pétrochimiques ont également fait l’objet de programmes de contrôle et d’aide à l’équipement en technologies de pointe pour le filtrage de leurs émissions.
On peut toutefois avancer d’autres raisons, liées à l’évolution de la structure de l’économie taiwanaise. A partir du début des années 2000, nombre d’industries polluantes ont été délocalisées vers la Chine continentale ou vers des pays d’Asie du Sud-Est.
Source : ministère de la Protection de l'environnement (il s'agit de moyennes : en réalité, la concentration n'est pas uniforme à l'intérieur d'une même zone)
Des disparités régionales
Les principaux polluants atmosphériques à Taiwan sont donc l’ozone et les particules en suspension dans l’air (PM2,5 et PM10). Formé à partir d’autres polluants sous l’action de la lumière, l’ozone de basse atmosphère est nocif pour la santé et affecte surtout les zones péri-urbaines. A Taiwan, ce sont Kaohsiung et le district voisin de Pingtung qui sont les plus exposés à ce polluant, tout spécialement en automne. La cité portuaire de Kaohsiung, dont l’économie a longtemps été orientée vers l’industrie lourde, continue d’héberger d’importants sites pétrochimiques et industriels. C’est aussi principalement dans l’ouest et le sud-ouest de l’île que les concentrations en PM10 restent supérieures à la valeur limite réglementaire, depuis le district de Yunlin (où sont installées une raffinerie de pétrole, des usines de craquage de naphte, des usines de plasturgie et des centrales thermiques au charbon), jusqu’à celui de Pingtung.
La concentration moyenne dans l’air de particules PM2,5 s’est, quant à elle, établie l’an dernier à Taiwan à 23,5 microgrammes par mètre cube (µg/m3), alors que le ministère de la Protection de l’environnement a fixé une valeur cible de 15 µg/m3 à atteindre en 2020. A titre de comparaison, la valeur cible est de 20 µg/m3 dans l’Union européenne, et la moyenne annuelle observée l’an dernier à Pékin frôlait 86 µg/m3, selon les données officielles chinoises, par ailleurs largement considérées comme sous-évaluées. Des recherches ont d’ailleurs montré que 27% des PM2,5 présentes dans l’air à Taiwan proviennent de la Chine voisine – un phénomène particulièrement aigu à la saison de la mousson de nord-est, de décembre à février, précise Chen Shyan-heng.
Comme pour les autres polluants, toutes les régions à Taiwan ne sont pas exposées de la même manière aux PM2,5. La façade occidentale, depuis Taichung jusqu’à Kaohsiung en passant par Chiayi, est particulièrement concernée, tout comme l’archipel de Kinmen, situé à quelques kilomètres des côtes chinoises. En plus d’abriter de nombreuses usines, lesquelles sont la source d’un quart des particules fines en suspension dans l’air à Taiwan, les régions de la côte ouest sont traversées de rivières dont le lit asséché une bonne partie de l’année laisse s’envoler poussières et particules. Des raisons géographiques, comme la présence de chaînes de montagnes bloquant la dispersion des polluants, explique aussi les fortes concentrations mesurées vers Chiayi ou Nantou, des régions pourtant moins industrialisées.
Un programme de recherche a été lancé pour connaître avec plus de précision les sources, la toxicité et les risques sanitaires entraînés par la présence des PM2,5 dans l’air des différentes régions de l’île. Il doit déboucher sur la publication d’un indice sanitaire unique prenant en compte tous les polluants. En attendant, pour s’informer sur la qualité de l’air, les Taiwanais jonglent avec deux indices. L’indice composite de la qualité de l’air PSI (Pollutant Standards Index), utilisé depuis 1994 et calqué sur celui alors en vigueur aux Etats-Unis, convertit la concentration de cinq polluants majeurs – O3, NO2, SO2, CO et PM10 – en valeurs indiciaires allant de 0 à 500, en fonction de l’impact sanitaire de chaque polluant. Un indice supérieur à 100 indique un risque accru pour la santé. L’indice d’exposition aux PM2,5 s’inspire, lui, du modèle britannique avec 10 tranches identifiées par des couleurs allant du vert au violet.
La relative complexité de ce système dual est dénoncée par les associations écologistes, mais la publication de l’indice d’exposition aux PM2,5 aura eu le mérite de redonner à la question de la qualité de l’air une place de choix dans le débat public. L’Etat et les collectivités territoriales en ont saisi l’importance et ont multiplié ces derniers mois les initiatives visant à réduire davantage la pollution atmosphérique : abandon des centrales au charbon, objectif de doublement du nombre de deux-roues électriques d’ici 2017 ou encore végétalisation des berges des rivières. Rendez-vous dans quelque temps pour en mesurer les résultats.
Une information plus efficace
Grâce à une coopération avec l’office central de la Météorologie, le ministère de la Protection de l’environnement publie deux fois par jour ses prévisions de qualité de l’air. Les données sont disponibles en temps réel sur son site internet (http://taqm.epa.gov.tw) et via une application pour téléphones mobiles. Ces informations sont relayées par plusieurs chaînes de télévision. Par ailleurs, des écoles ont été désignées pour tester un dispositif de signalisation de la qualité de l’air à l’aide de drapeaux de différentes couleurs, comme sur les plages. Si l’essai est concluant, le ministère de l’Education étendra ce dispositif à l’ensemble des établissements scolaires cette année ou l’année prochaine.